Paul Biya Higher Education Vision

Prof. James Mouangue

A propos du don de 500 000 ordinateurs : la lecture du Prof. James Mouangue Kobila

16/02/18.Paradoxalement, l’opération tendant à doter deux promotions d’étudiants du système national d’Enseignement Supérieur (public et privé) d’ordinateurs, à raison d’un ordinateur gratuit pour chaque étudiant, est très controversée au Cameroun, alors que partout ailleurs, de telles opérations, souvent moins généreuses, ont été unanimement célébrées. Les impressionnistes et autres saltimbanques qui ne fonctionnent qu’à l’émotion s’acharnent à faire croire que l’attitude convenable consisterait à dénigrer cette opération inédite et tout autre projet qui ne viserait pas à doter chaque étudiant d’aujourd’hui et de demain d’un ordinateur de formule 1 susceptible d’abriter des logiciels professionnels dernier cri et nanti d’un écran de haute définition.

Par James Mouangue Kobila

Par la grâce de l’Eternel, je bénéficiais d’une bourse post-doctorat de l’Agence Universitaire de la Francophonie à Lyon en 2005, lorsque le gouvernement français a lancé sa troisième opération « un ordinateur à un euro par jour » au profit de tous les étudiants inscrits dans les universités et grandes écoles françaises. L’idée de cette opération d’incitation des étudiants à l’achat d’ordinateurs était de permettre à chaque étudiant qui le souhaite de contracter un emprunt auprès d’une banque, en vue d’acquérir le précieux outil pour environ 365 euros, soit 239 424 francs CFA, auprès du fournisseur de son choix (N.B. : le prix d’un ordinateur de moyen de gamme oscille entre 200 000 et 450 000 francs. Cf. Management, Hors-série, Réussir à l’heure du numérique, octobre-novembre 2017, p. 75).

La quasi-totalité des banques (françaises) et des marques d’ordinateur (étrangères) se sont engagées dans ce processus avec enthousiasme. D’autant que le concept « un ordinateur à un euro par jour » correspondait en réalité au plancher, certains étudiants ayant profité de ce dispositif pour acquérir leur ordinateur à 500, 1000, 1500, et même jusqu’à 2000 euros, en fonction de leur capacité de remboursement et de l’usage qu’ils voulaient en faire.  Nul n’a moqué le type d’ordinateur que l’on pouvait obtenir à ce prix-là, car le but était de réduire la fracture numérique. Au Bilan, Valérie Pécresse, alors ministre française de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a affirmé en octobre 2007 que grâce à cette opération, le taux d’équipement des étudiants en ordinateur était passé de « 9 % à 50 % ».

La  leçon que l’on en tire est qu’une opération massive tendant à réduire la fracture numérique au profit de la jeunesse d’un pays ne peut être structurée que sur des standards planchers et qu’il ne s’agit pas et il ne s’agira jamais pour quelque gouvernement que ce soit de proposer la Rolls Royce des ordinateurs portables à chaque étudiant.

C’est aussi avec un certain étonnement que l’on a entendu certains avancer qu’avec les 50 milliards dédiés à l’acquisition des 500 000 ordinateurs présidentiels, l’on aurait pu créer une usine de fabrication d’ordinateurs au Cameroun et offrir 15 000 emplois aux Camerounais, en citant les exemples de la Côte d’Ivoire, de l’Ethiopie ou du Rwanda, sans toutefois fournir de statistiques ni sur la population estudiantine de ces pays ni sur le taux d’équipement de leurs étudiants en ordinateurs tropicalisés avant et après coup. Même à supposer qu’une telle usine emploierait effectivement 15 000 personnes, les « experts » qui militent pour cette hypothèse ne nous disent pas ensuite comment les étudiant camerounais – dont le pouvoir d’achat est si faible que la plupart d’entre eux ne disposent même pas d’un téléphone portable simple (on ne parle pas d’un téléphone Android) et qui ont souvent toutes les peines du monde à réunir les droits universitaires qui s’élèvent à 50 000 francs – procèderaient pour acheter, chacun, un ordinateur qui coûterait entre 120 000 et 200 000 francs. Ils ne disent pas non plus combien d’ordinateurs cette usine camerounaise virtuelle pourrait produire par an, encore moins combien d’années, de décennies ou de siècles il faudrait cette usine pour équiper 500 000 étudiants camerounais en ordinateurs acquis à prix d’argent, avec la quasi-certitude que cette option changerait peu de choses au taux d’étudiants équipés d’ordinateurs. Bref, pas de quoi en faire des digital natives ultraconnectés au cyberespace universitaire mondial, à l’heure de l’hyper digitalisation.

La leçon tirée de cette forme d’illettrisme sur la démographie estudiantine camerounaise – dans laquelle je suis immergé depuis un quart de siècle – est que l’option de remettre gratuitement un ordinateur à chaque étudiant est incontestablement la mieux adaptée au contexte du Cameroun, aussi bien pour réduire la fracture numérique que pour commencer à créer une atmosphère d’e-learning dans les campus universitaires camerounais. On reconnaît donc avec Pascal que « Vérité en deçà de Pyrénées, erreur au-delà » (en clair : ce qui vaut pour un peuple ne vaut pas nécessairement pour un autre). Pour les deux promotions bénéficiaires du don d’ordinateurs en effet, le taux d’équipement des étudiants passera de 7% à 100%, mieux que l’opération française « un ordinateur à un euro par jour ». C’est du reste ce qui explique la joie débordante que les étudiants manifestent lorsqu’ils reçoivent leur « Ordinateur présidentiel ».

Quid donc des emplois qui auraient pu être créés par une usine de fabrication d’ordinateurs portables implantée au Cameroun ? Là encore, le constat s’impose que l’opération camerounaise « un ordinateur gratuit pour chaque étudiant » n’est nullement incompatible avec la perspective de la mise en place au Cameroun d’une usine de fabrication d’ordinateurs, qu’ils soient portables ou pas. Cela est d’autant plus vrai que plus d’un Camerounais portent actuellement un tel projet et que l’opération 500 000 ordinateurs gratuits pour les étudiants est susceptible de créer, par effet de levier, des habitudes et d’ouvrir ainsi le marché d’ordinateurs portables camerounais low cost à une vaste échelle, suivant la tactique de l’échantillon.

Mais il y a mieux. Au cours de la cérémonie d’ouverture de la Deuxième Conférence Scientifique Internationale de la Diaspora Camerounaise en Allemagne qui s’est tenue dans les locaux de l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Douala le 4 aout 2016, en partenariat avec la Faculté des Sciences de l’Université de Douala, sous le thème Transfert scientifique et technologique : stratégies d’innovation, l’expert Jean Paul TATOU, Software Systems Engineer et non moins Consultant Engineering Methods and Tools, qui a fait une brillante présentation sous le titre « Digitalization: Challenges And Opportunity For The Cameroonian Software Industry », a indiqué qu’avec un ordinateur portable et une connexion Internet, un jeune est capable de se lancer dans l’entreprenariat et créer une start-up. Avec la généralisation de la formation d’entreprenariat dans toutes les filières de l’Enseignement Supérieur prescrite par le Gouvernement depuis le début de l’année universitaire 2017-2018, je fais le pari que plus de 50 000 bénéficiaires du don présidentiel d’ordinateurs, soit plus de 10% d’entre eux, se serviront de cet outil pour générer des revenus et se lancer dans l’entreprenariat. D’autant que, d’après une étude de la Banque mondiale, confirmée par l’Organisation internationale du Travail et par le Foreign and Commonwealth Office du Royaume-Uni, entre 2014 et 2024, seuls 25% des jeunes en Afrique sub-saharienne auront accès à un emploi salarié, et que seule une minorité d’entre eux travailleront dans de grandes structures, l’avenir de 75% des jeunes d’Afrique sub-saharienne est à l’auto-emploi et au management numérique, que ce soit au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria ou au Sénégal.

La leçon que l’on en tire est que l’approche de ceux qui, regrettant la perte de 15 000 emplois, se déchaînent contre le don de 500 000 ordinateurs aux étudiants camerounais, est aussi ingénieuse que la démarche du pêcheur qui préfèrerait consommer le poisson qu’il vient de pêcher immédiatement, plutôt que d’y renoncer pour charger des hameçons qui lui permettront ensuite de se retrouver avec un panier de poissons. Que représentent en effet 15 000 emplois face à la perspective de création de 50 000 emplois, avec à la base l’amélioration de l’indice de qualité de la formation de centaines de milliers de nos diplômés de l’Enseignement Supérieur et face à l’esprit d’innovation qu’insufflera la possession d’un ordinateur aux quelque 93% d’étudiants qui n’en possédaient pas avant le début de la distribution du don présidentiel ?

Certes, certains bénéficiaires se serviront de leur ordinateur pour jouer aux cartes, à la manière de la mère de l’écrivaine américaine Sarah Dessen qui « ne se servait de son ordinateur dernier cri [que] pour jouer au solitaire ». D’autres s’en débarrasseront d’une manière ou une autre, soit pour cause de double emploi avec un équipement plus performant, soit pour des motifs inavouables. Mais du point de vue didactique, à l’heure de l’apprentissage coopératif, de l’apprentissage collaboratif et de la « différenciation pédagogique », l’opération 500 000 ordinateurs pour les étudiants permettra aux enseignants et à chaque étudiant, devenu étudiant-internaute de tirer avantage des nouvelles méthodes de formation de l’ère numérique, qu’il s’agisse de la « formation par la recherche », de la « classe inversée » (Flipped classroom, où l’étudiant apprend ses leçons en dehors des cours, puis consacre des séances en présentiel à la réalisation d’expériences) ou de l’« enseignement mixte », Blended learning qui correspond à une méthodologie formative novatrice et fortement orientée sur l’implication directe des étudiants en situation d’apprentissage. Le Blended learning consiste à coupler l’enseignement présentiel et l’enseignement en ligne, suivant des pourcentages variables en fonction des contextes, pour fournir aux étudiants des réponses opérationnelles concrètes. Les vertigineuses possibilités offertes par ces ordinateurs portables permettront aux étudiants assoiffés de savoir de parcourir les autoroutes numériques pour acquérir tous les savoirs (savoir-faire, savoir être, savoir devenir, savoir vivre, etc.) et pour se frayer un chemin dans la voie étroite des travaux de recherche scientifique,  fondamentale ou appliquée.

Les ordinateurs portables offerts aux étudiants représentent incontestablement la quintessence de la vision du président Biya pour la jeunesse camerounaise. Une vision qui se présente comme une fusée à plusieurs étages et digne du millénaire où nous sommes, dans la mesure où le projet Paul Biya Higher Education Vision, composante du Cameroon E-National Education Network, s’adosse sur neuf Centres de développement du numérique universitaire, qui seront logés dans chacune des huit universités d’Etat et dans l’Université Inter-Etats Cameroun-Congo de Sangmelima ainsi que sur l’interconnexion universitaire par le truchement du Centre national de gestion du réseau inter-universitaire et le e-learning.

L’ultime leçon que l’on tire l’intérêt didactique de cette opération est que la vaine polémique entretenue par ceux qui ont du mal à comprendre qu’autant en matière acoustique où, « avec une seule enceinte, l’effet stéréo [peut être] produit par superposition des pistes sonores » (cf. Capital, Les business fous du Luxe, dossier spécial n° 16, janvier-février 2018, p. 43), dans le domaine informatique, en dehors des solutions Cloud, plusieurs autres solutions peuvent permettre, si nécessaire, de minorer les inconvénients d’une capacité de stockage interne qui ne serait pas de haute compétition, y compris l’exploitation des neuf Centres de développement du numérique universitaire, authentiques espaces numériques ultrapremium en construction.

Parce que le projet Paul Biya Higher Education Vision projette urbi et orbi la vision maximaliste, généreuse et futuriste que le président Biya a de l’avenir de la jeunesse camerounaise, attestée la transformation immédiate de tous les étudiants en Homo connecticus, à l’unisson des heureux bénéficiaires qui n’ont recours à aucun interprète pour s’en réjouir aussi bruyamment qu’intensément, nous disons : bienvenue aux 500 000 ordinateurs présidentiels !

James Mouangue Kobila est agrégé de droit public et vice-recteur chargé de la recherche, de la coopération et des relations avec le monde des entreprises à l’Université de Douala

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