Note de lecture

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« Ma passion pour l’éléphant » du Professeur Martin Tchamba

Monsieur le Recteur, honorables membres du Conseil rectoral, chers collègues, chers invités en vos titres et grades strictement respectés, je tiens à vous présenter ma gratitude pour le temps que vous sacrifiez à écouter la présente note de lecture de l’ouvrage intitulé : Ma passion pour l’éléphant, publié par Martin Tchamba, à Paris, aux éditions L’Harmattan en 2022.

Deux sentiments m’ont jusqu’ici habité depuis la décision du Prof Tchamba de me désigner pour faire la note de lecture de son ouvrage : l’honneur et le sentiment de devoir relever un défi. D’abord j’ai pris avec honneur le choix porté sur ma modeste personne car l’auteur s’appelle Martin Tchamba, un homme immense dans l’université camerounaise en général et à l’université de Dschang en particulier. Cette immensité, comme vous pouvez l’imaginer, est indubitablement liée au parcours singulier qui est le sien. D’abord, il s’agit d’un chercheur hors pair dans le champ de la biologie de la conservation, chercheur dont les travaux irriguent une grande partie des réflexions actuelles dans les sciences forestières, notamment dans des sous-champs aussi variés que la gouvernance forestière, la conservation et la gestion durable des forêts, le changement climatique, l’écotourisme. Ensuite, le Professeur Tchamba passe pour être, en tant que chef du département de foresterie à la FASA, au sommet de la hiérarchie des fundraisers, entendez collecteurs de financements internationaux nécessaires à la formation de nos étudiants. Grâce à de nombreux financements obtenus auprès des bailleurs de fonds internationaux (Union Européenne, FAO, PNUD, etc.), le Professeur Tchamba a souvent réussi à placer l’Université de Dschang et même la ville de Dschang sur la carte du monde. Comme le dit un proverbe scandinave, « L’honneur est comme l’œil : on ne joue pas avec lui ». Je me suis donc mis à fond dans la lecture du livre afin d’être à la hauteur des termes de référence d’une note de lecture de l’ouvrage intitulé : Ma passion pour l’éléphant. Mais le défi était immense. Comment rendre compte du livre d’un proche sans que la proximité avec l’auteur ne vienne polluer le jugement qu’on en fait? Comment faire une note de lecture de l’ouvrage d’un auteur pour qui on a une immense admiration sans se laisser précisément influencer par cette admiration. Tel était le défi épistémologique auquel on était confronté. Nelson Mandela précisait justement à notre attention que « L’honneur appartient à ceux qui n’abandonnent jamais la vérité… ». On s’est donc résolu à lire sans complaisance le livre du Professeur Tchamba. Il nous a fallu recourir à un outil particulier préconisé en pareille situation par le sociologue français Bourdieu, l’« auto-socio-analyse », une posture qui permet de mieux contrôler le rapport subjectif du chercheur à son objet et de conserver intactes les conditions de la scientificité des analyses menées. Le deuxième grand défi de la note de lecture était mon statut d’« allogène disciplinaire ». Comme cela se sait, je suis professeur de science politique, j’ai fait de l’analyse des phénomènes politique ma spécialité et mon métier. Comment dès lors, en tant que politiste, présenter l’ouvrage d’un maître des sciences forestières sans en trahir la substance ? Il fallait malgré tout relever le défi. Nous nous y sommes attelé.

Monsieur le Recteur, honorables membres du Conseil rectoral, chers collègues, chers invités, je voudrais maintenant restituer ma lecture de l’ouvrage publié par le Professeur Martin Tchamba. Je vais très brièvement discuter du genre littéraire choisi par l’auteur et des leçons qui en découlent (I) avant de mettre en exergue quelques points de vigilance que soulève ce livre (II).

  1. Du choix du genre autobiographique

Ma passion pour l’éléphant ! En prenant le livre et en se confrontant à son titre on fait d’entrée un constat : le Professeur Martin Tchamba a opté pour un genre littéraire particulier, l’autobiographie qu’on peut définir au sens strict comme le récit rétrospectif de la vie d’un individu, rédigé par lui-même.  C’est un récit factuel, un récit qui raconte la vie de quelqu’un qui existe. Les littéraires nous disent que l’autobiographie est toujours écrite en « je », le « je », ce pronom qui représente à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage principal. A priori, il s’agit d’un exercice facile ! Qui, mieux que soi, pour parler de soi ?! On aurait cependant tort de s’arrêter à cet a priori, à ce savoir de sens commun. À la vérité, le Professeur Tchamba s’est lancé dans une entreprise périlleuse en bien des points. Patrick Mondiano, écrivain français, grand prix de l’Académie française, auteur d’une trentaine de romans et auteur, lui-même, d’un ouvrage autobiographique a déclaré un jour : « L’entreprise autobiographique entraîne de grandes inexactitudes puisque l’on pèche souvent par omission, volontairement ou non ». Ce faisant, cet écrivain avertissait subtilement quiconque se lance dans ce genre littéraire des pièges qui pourrait se dresser sur son chemin. De fait, le genre autobiographique au sens large, et même l’autobiographie au sens strict, est exposé à deux écueils principaux et souvent complémentaires : soit une complaisance narrative incontrôlée, soit un étalage présomptueux et volontiers narcissique des sentiments. Il s’agit de deux grands obstacles épistémologiques que doivent généralement éviter tous les auteurs qui veulent livrer à postérité des ouvrages autobiographiques crédibles. C’est informé de ces faits que je me suis lancé dans l’exploration du livre intitulé : Ma passion pour l’éléphant. Déformation du métier oblige, mon regard s’est d’abord fait évaluateur. Il s’agissait de voir, de vérifier, si dans sa prose, l’auteur est tombé dans les deux pièges épistémologiques évoqués. Le regard du lecteur du livre s’est par la suite laissé piéger par la particularité de la plume mobilisée tout au long de la narration de la vie de l’auteur, il s’est laissé captiver par les narratifs convoqués et par les leçons qui en découlent. On a ainsi dû revoir à la baisse nos prétentions à l’évaluation de l’ouvrage pour simplement et humblement apprendre de l’histoire d’une vie.

Ma passion pour l’éléphant se présente à la fois comme une confession et un enseignement. Le sens classique du mot latin confessio  désigne l’aveu comme action de reconnaitre quelque chose, il faut l’entendre chez Martin Tchamba, d’une manière différente, comme aveu de soi, dans le sens où je décide de moi à travers mon autobiographie et non pas comme aveu de ses erreurs passées. A travers Ma passion pour l’éléphant, Martin Tchamba professe et enseigne. Il nous apprend avec William Wordsworth que « l’enfant est le père de l’homme » ! En d’autres termes, il démontre que l’homme est le produit de ses habitudes et de son comportement développés dans son enfance. L’éléphant apparaît dès lors comme un prétexte pour apprendre à partir de la vie de l’auteur. Les fragments de récits de vie tels que « Tu t’appelleras « Tchamba » » (pp. 19 et passim), « la sagesse de mon village » (pp. 53 et passim), ou « Encore un heureux hasard » (pp. 75 et passim) ont la particularité de nous plonger dans le moule de la construction d’un homme, d’un grand Homme. Des profondeurs de Melen Mini Ferme dans la ville de Yaoundé, à Doumé en passant par Abong Mbang, jusqu’au Texas aux États-Unis, on voit se dessiner dans les narratifs, la croissance de l’enfant, l’apprentissage hétérogène qui la structure, les petits succès qui se juxtaposent et une personnalité forte qui se profile. A travers ces récits de vie et du passage de l’enfance à l’âge adulte, le Professeur Tchamba, comme Monsieur Jourdain faisant la prose sans s’en rendre compte, administre à ses lecteurs une leçon de sociologie. Il s’agit de la sociologie de la mobilité sociale au Cameroun. La mobilité sociale en question concerne les changements de statut social des individus au cours du temps, ainsi que les différences entre le statut social des parents et celui de leurs enfants. Comment partir de parents modestes pour devenir un grand Homme ? Comment réussir dans un monde incertain ? Telle pourrait être le titre de cette leçon de sociologie de la mobilité sociale. En bon professeur (« Professeur 5 étoiles » comme il est souvent appelé par ceux qui louent sa dextérité pédagogique), Martin Tchamba construit le référentiel de ce succès et démontre que l’école bien faite dans la discipline est dans notre pays un ascenseur social qui marche. « Ce pays tue les jeunes », a-t-on souvent entendu dire pour mettre en exergue la panne de l’ascenseur social aujourd’hui dans notre pays. On apprend de Ma passion de l’éléphant que pour en panne qu’il puisse être, cet ascenseur a besoin d’être accompagné de discipline de fer pour pouvoir reprendre son cours et porter les jeunes issus de milieux modestes vers les hauteurs sociales du Cameroun, de l’Afrique et du Monde. Ce n’est qu’à cette condition que l’enfant pourra définitivement être « le père de l’homme » au sens où l’entend William Wordsworth. Mais, au-delà du genre littéraire, on était bien évidemment intéressé par le contenu du livre.

  1. Quelques points de vigilances au cœur de l’ouvrage

Ma la lecture de Ma passion de l’éléphant, me permet de porter à votre attention deux points qui, de manière lancinante reviennent comme pour nous inviter à la réflexion : la signification d’une carrière professionnelle (A), la nécessité des retours d’expérience personnelle dans nos institutions (B).

  1. De la signification d’une carrière professionnelle

On ne subit pas une carrière professionnelle, on la construit. C’est l’un des points saillants de l’ouvrage de 220 pages que nous livre le Professeur Martin Tchamba. Tenez :

  • Page 31 : « J’ai dû démissionner de mes fonctions de chef d’antenne du Centre universitaire de Dschang (CUD) à Maroua, dans la province de l’Extrême-Nord du Cameroun, et obtenir ma mise à disponibilité du Ministère de la fonction publique. Je devais par la même occasion, quitter le magistère pendant une vingtaine d’années » Chargé de Programmes de l’IUCN à Brazzaville est donc mon premier poste à l’international» ;
  • Page 35 : « un matin, je suis donc allé au bureau. J’avais déjà fait ma réservation sur un vol de la Compagnie nationale aérienne (Cameroon Airlines)… J’ai vu mon patron, qui a tenté un dernier geste désespéré pour me retenir. Il m’a dit :  » Non ! Tu ne peux pas partir « . Je lui ai calmement, mais fermement dit :  » je pars « »
  • Page 37 : « J’avais claqué la porte de l’université. J’avais abandonné mon poste de Brazza, j’étais à court de moyens matériels et financiers et pour couronner le tout, j’avais rejoint la maison familiale».
  • Page 39 : « J’ai pris la route de Douala, sans d’autres détours. Et c’est sur ces entrefaites que je me retrouve à la COTCO comme spécialiste de la biodiversité»
  • Page 41 : « Nous étions un mercredi, je crois. Et Steve m’a demandé : « Martin est-ce que tu veux aller à Garoua ? « …Il me dit qu’il y a un projet du Fonds Mondial pour l’Environnement que WWF veut implémenter au Nord Cameroun».

L’auteur analyse ainsi ce qu’on pourrait appeler les « changements institutionnalisés » et ce que je nommerai ici les « accidents biographiques » intervenus dans son parcours professionnel. Le livre fourmille ainsi de détails tels que ceux que nous venons d’écouter qui témoignent de la richesse de la carrière du Professeur Tchamba jusqu’à ce moment à l’Université de Dschang. Au-delà de ce palmarès à l’actif de l’auteur, il me semble plus important de répondre à l’invitation qu’il nous fait de réfléchir sur la signification et la consistance d’une carrière. Nous tous ici, ou presque, sommes dans le cheminement de nos carrières respectives. Mais, nous sommes-nous déjà demandé ce que signifie une carrière ? En général, la notion de carrière est mise en exergue pour appréhender les étapes d’accès et d’exercice d’une profession comme une suite de changements objectifs de positions et la série des remaniements subjectifs qui y sont associés. C’est ce que met en avant Ma passion pour l’éléphant. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de merveilleusement mauvais dans cet ouvrage. La prose de l’auteur nous oblige. Elle force chacun de nous à faire une introspection sur sa propre carrière. On est dès lors hanté par une interrogation : qu’ai-je jusqu’à présent fait de ma carrière professionnelle ?

L’auteur nous indique que dans sa dimension objective, une carrière professionnelle se compose d’une série de statuts et d’emplois clairement institutionnalisés, de suites typiques de positions, de réalisations, de responsabilités et même d’aventures. À ce sujet, on a surtout retenu le duel de 8 minutes avec un éléphant dans le Parc de Waza, duel relaté aux pages 137 et suivantes. On n’est pas moins bouleversé aux pages 32 et suivantes par la fusillade de Brazzaville à laquelle l’auteur a échappé, fusillade dans laquelle ses deux compagnons de véhicules ont perdu la vie.  La carrière a aussi une dimension subjective. Dans cette dimension, la carrière est faite de changements dans la perspective selon laquelle la personne perçoit son existence comme une totalité et interprète la signification de ses diverses caractéristiques et actions, ainsi que tout ce qui lui arrive. La carrière qui est jusque-là celle de l’auteur, comme celles de ceux présents dans cette salle, est faite de processus et de dialectique permanente entre histoire individuelle, institution et contextes. Elle est le produit concret de ce que les acteurs font en étant faits. Mais c’est précisément à ce niveau que le livre est plein d’enseignements. Il nous fournit les outils cognitifs pour distinguer ceux qui agissent dans leur carrière de ceux qui sont agis par leur carrière. Le livre riche de récits et d’anecdotes nous propose en même temps les outils pour faire partie de la première catégorie, celle de ceux qui agissent dans leur carrière. Ces outils sont : la remise permanente de soi en question, l’audace, l’esprit d’initiative, la loyauté et la générosité.  C’est d’ailleurs ce dernier outil qui justifie que l’auteur consente à revisiter la cinquantaine d’années de son existence afin de faire profiter à ses lecteurs de son expérience.

  1. Des retours d’expérience personnelle dans nos institutions

Le deuxième grand intérêt du livre Ma passion pour l’éléphant procède sans doute des retours d’expériences personnelles et professionnelles qui pourraient bénéficier au lecteur. Par retour d’expérience il faut entendre une démarche de détection et d’analyse des enseignements d’un projet, qu’elles soient positives ou négatives. Dans le livre cet exercice est permanent et vise à analyser et partager les éléments positifs ou négatifs de la vie de l’auteur pour en tirer des enseignements. Il s’inscrit dans une démarche d’apprentissage et d’amélioration continue.  Précisément, l’auteur s’attèle à présenter des expériences de gestion de ses projets de vie personnelle et professionnelle. Son texte est orienté vers la démarche développée, les méthodes employées, les productions réalisées, les moyens utilisés ainsi que sur le rôle et le niveau d’implication de ses compagnons de route. Les récits intitulés « dans les eaux et forêts comme l’armée » (pp. 61 et suiv.), « le temps d’un rêve » (pp. 65 et suiv.) et « encore un heureux hasard » (pp. 75 et suiv.) se donnent ainsi à voir comme de véritables traités de vie à destination de l’étudiant déterminé à réussir ses études. La troisième partie de l’ouvrage (pp. 83 et suiv.) apparaît comme une envie de Martin Tchamba de partager son expérience qui, comme une béquille, pourrait aider de nombreux forestiers, de nombreux chercheurs à corriger leur trajectoire et à se projeter sereinement vers le futur. Sans le vouloir, il fait de la concurrence à un tas de guides pratiques et de livres sur la façon dont on peut résoudre un problème. Il répond ainsi à un certain nombre de problématiques auxquelles les professionnels sont confrontés : comment faire bon ménage avec ses patrons ? Comment se faire apprécier de ses collègues et autres compagnons de travail ? Comment faire face dignement à des difficultés professionnelles ? Les enseignants/chercheurs en général, et les forestiers en particulier, s’en sortent également avec quelques interrogations utiles : comment faire efficacement son terrain afin de collecter des données empiriques fiables ? Comment gérer efficacement les conflits hommes/animaux en vue d’une conservation optimale des ressources fauniques ? Comment faire rayonner un département dans une faculté ? Influenceur, Martin Tchamba l’est certainement de par le positionnement didactique de l’ouvrage qu’il nous présente.

On pense néanmoins que le caractère attrape-tout de cette autobiographie qui embrasse un peu trop, de la vie personnelle et professionnelle du Professeur, dessert quelque peu les détails qui auraient pu donner plus de force encore au texte et à sa portée. Le lecteur désireux d’en savoir davantage et de tirer profit de l’expérience du maître se serait attendu à de plus amples développements sur les projets notamment entrepris au département de foresterie. Mais il ne s’agit que d’une autobiographie, donc de l’histoire d’une vie qui se devait de tenir sur quelques 220 pages. Ce livre appelle certainement des ouvrages de spécialités qui permettront au maître des sciences forestières de mieux préciser sa pensée dans des domaines telles que l’administration universitaire, la science de la conservation et la gouvernance forestière. Il appelle probablement la rédaction des mémoires qui permettront sans doute au Professeur de nous édifier davantage sur son parcours.

Je vous remercie pour votre attention.

Note de lecture du livre Ma passion pour l’éléphant du Professeur Martin Tchamba

Monsieur le Recteur, honorables membres du Conseil rectoral, chers collègues, chers invités en vos titres et grades strictement respectés, je tiens à vous présenter ma gratitude pour le temps que vous sacrifiez à écouter la présente note de lecture de l’ouvrage intitulé : Ma passion pour l’éléphant, publié par Martin Tchamba, à Paris, aux éditions L’Harmattan en 2022.

Deux sentiments m’ont jusqu’ici habité depuis la décision du Prof Tchamba de me désigner pour faire la note de lecture de son ouvrage : l’honneur et le sentiment de devoir relever un défi. D’abord j’ai pris avec honneur le choix porté sur ma modeste personne car l’auteur s’appelle Martin Tchamba, un homme immense dans l’université camerounaise en général et à l’université de Dschang en particulier. Cette immensité, comme vous pouvez l’imaginer, est indubitablement liée au parcours singulier qui est le sien. D’abord, il s’agit d’un chercheur hors pair dans le champ de la biologie de la conservation, chercheur dont les travaux irriguent une grande partie des réflexions actuelles dans les sciences forestières, notamment dans des sous-champs aussi variés que la gouvernance forestière, la conservation et la gestion durable des forêts, le changement climatique, l’écotourisme. Ensuite, le Professeur Tchamba passe pour être, en tant que chef du département de foresterie à la FASA, au sommet de la hiérarchie des fundraisers, entendez collecteurs de financements internationaux nécessaires à la formation de nos étudiants. Grâce à de nombreux financements obtenus auprès des bailleurs de fonds internationaux (Union Européenne, FAO, PNUD, etc.), le Professeur Tchamba a souvent réussi à placer l’Université de Dschang et même la ville de Dschang sur la carte du monde. Comme le dit un proverbe scandinave, « L’honneur est comme l’œil : on ne joue pas avec lui ». Je me suis donc mis à fond dans la lecture du livre afin d’être à la hauteur des termes de référence d’une note de lecture de l’ouvrage intitulé : Ma passion pour l’éléphant. Mais le défi était immense. Comment rendre compte du livre d’un proche sans que la proximité avec l’auteur ne vienne polluer le jugement qu’on en fait? Comment faire une note de lecture de l’ouvrage d’un auteur pour qui on a une immense admiration sans se laisser précisément influencer par cette admiration. Tel était le défi épistémologique auquel on était confronté. Nelson Mandela précisait justement à notre attention que « L’honneur appartient à ceux qui n’abandonnent jamais la vérité… ». On s’est donc résolu à lire sans complaisance le livre du Professeur Tchamba. Il nous a fallu recourir à un outil particulier préconisé en pareille situation par le sociologue français Bourdieu, l’« auto-socio-analyse », une posture qui permet de mieux contrôler le rapport subjectif du chercheur à son objet et de conserver intactes les conditions de la scientificité des analyses menées. Le deuxième grand défi de la note de lecture était mon statut d’« allogène disciplinaire ». Comme cela se sait, je suis professeur de science politique, j’ai fait de l’analyse des phénomènes politique ma spécialité et mon métier. Comment dès lors, en tant que politiste, présenter l’ouvrage d’un maître des sciences forestières sans en trahir la substance ? Il fallait malgré tout relever le défi. Nous nous y sommes attelé.

Monsieur le Recteur, honorables membres du Conseil rectoral, chers collègues, chers invités, je voudrais maintenant restituer ma lecture de l’ouvrage publié par le Professeur Martin Tchamba. Je vais très brièvement discuter du genre littéraire choisi par l’auteur et des leçons qui en découlent (I) avant de mettre en exergue quelques points de vigilance que soulève ce livre (II).

  1. Du choix du genre autobiographique

Ma passion pour l’éléphant ! En prenant le livre et en se confrontant à son titre on fait d’entrée un constat : le Professeur Martin Tchamba a opté pour un genre littéraire particulier, l’autobiographie qu’on peut définir au sens strict comme le récit rétrospectif de la vie d’un individu, rédigé par lui-même.  C’est un récit factuel, un récit qui raconte la vie de quelqu’un qui existe. Les littéraires nous disent que l’autobiographie est toujours écrite en « je », le « je », ce pronom qui représente à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage principal. A priori, il s’agit d’un exercice facile ! Qui, mieux que soi, pour parler de soi ?! On aurait cependant tort de s’arrêter à cet a priori, à ce savoir de sens commun. À la vérité, le Professeur Tchamba s’est lancé dans une entreprise périlleuse en bien des points. Patrick Mondiano, écrivain français, grand prix de l’Académie française, auteur d’une trentaine de romans et auteur, lui-même, d’un ouvrage autobiographique a déclaré un jour : « L’entreprise autobiographique entraîne de grandes inexactitudes puisque l’on pèche souvent par omission, volontairement ou non ». Ce faisant, cet écrivain avertissait subtilement quiconque se lance dans ce genre littéraire des pièges qui pourrait se dresser sur son chemin. De fait, le genre autobiographique au sens large, et même l’autobiographie au sens strict, est exposé à deux écueils principaux et souvent complémentaires : soit une complaisance narrative incontrôlée, soit un étalage présomptueux et volontiers narcissique des sentiments. Il s’agit de deux grands obstacles épistémologiques que doivent généralement éviter tous les auteurs qui veulent livrer à postérité des ouvrages autobiographiques crédibles. C’est informé de ces faits que je me suis lancé dans l’exploration du livre intitulé : Ma passion pour l’éléphant. Déformation du métier oblige, mon regard s’est d’abord fait évaluateur. Il s’agissait de voir, de vérifier, si dans sa prose, l’auteur est tombé dans les deux pièges épistémologiques évoqués. Le regard du lecteur du livre s’est par la suite laissé piéger par la particularité de la plume mobilisée tout au long de la narration de la vie de l’auteur, il s’est laissé captiver par les narratifs convoqués et par les leçons qui en découlent. On a ainsi dû revoir à la baisse nos prétentions à l’évaluation de l’ouvrage pour simplement et humblement apprendre de l’histoire d’une vie.

Ma passion pour l’éléphant se présente à la fois comme une confession et un enseignement. Le sens classique du mot latin confessio  désigne l’aveu comme action de reconnaitre quelque chose, il faut l’entendre chez Martin Tchamba, d’une manière différente, comme aveu de soi, dans le sens où je décide de moi à travers mon autobiographie et non pas comme aveu de ses erreurs passées. A travers Ma passion pour l’éléphant, Martin Tchamba professe et enseigne. Il nous apprend avec William Wordsworth que « l’enfant est le père de l’homme » ! En d’autres termes, il démontre que l’homme est le produit de ses habitudes et de son comportement développés dans son enfance. L’éléphant apparaît dès lors comme un prétexte pour apprendre à partir de la vie de l’auteur. Les fragments de récits de vie tels que « Tu t’appelleras « Tchamba » » (pp. 19 et passim), « la sagesse de mon village » (pp. 53 et passim), ou « Encore un heureux hasard » (pp. 75 et passim) ont la particularité de nous plonger dans le moule de la construction d’un homme, d’un grand Homme. Des profondeurs de Melen Mini Ferme dans la ville de Yaoundé, à Doumé en passant par Abong Mbang, jusqu’au Texas aux États-Unis, on voit se dessiner dans les narratifs, la croissance de l’enfant, l’apprentissage hétérogène qui la structure, les petits succès qui se juxtaposent et une personnalité forte qui se profile. A travers ces récits de vie et du passage de l’enfance à l’âge adulte, le Professeur Tchamba, comme Monsieur Jourdain faisant la prose sans s’en rendre compte, administre à ses lecteurs une leçon de sociologie. Il s’agit de la sociologie de la mobilité sociale au Cameroun. La mobilité sociale en question concerne les changements de statut social des individus au cours du temps, ainsi que les différences entre le statut social des parents et celui de leurs enfants. Comment partir de parents modestes pour devenir un grand Homme ? Comment réussir dans un monde incertain ? Telle pourrait être le titre de cette leçon de sociologie de la mobilité sociale. En bon professeur (« Professeur 5 étoiles » comme il est souvent appelé par ceux qui louent sa dextérité pédagogique), Martin Tchamba construit le référentiel de ce succès et démontre que l’école bien faite dans la discipline est dans notre pays un ascenseur social qui marche. « Ce pays tue les jeunes », a-t-on souvent entendu dire pour mettre en exergue la panne de l’ascenseur social aujourd’hui dans notre pays. On apprend de Ma passion de l’éléphant que pour en panne qu’il puisse être, cet ascenseur a besoin d’être accompagné de discipline de fer pour pouvoir reprendre son cours et porter les jeunes issus de milieux modestes vers les hauteurs sociales du Cameroun, de l’Afrique et du Monde. Ce n’est qu’à cette condition que l’enfant pourra définitivement être « le père de l’homme » au sens où l’entend William Wordsworth. Mais, au-delà du genre littéraire, on était bien évidemment intéressé par le contenu du livre.

  1. Quelques points de vigilances au cœur de l’ouvrage

Ma la lecture de Ma passion de l’éléphant, me permet de porter à votre attention deux points qui, de manière lancinante reviennent comme pour nous inviter à la réflexion : la signification d’une carrière professionnelle (A), la nécessité des retours d’expérience personnelle dans nos institutions (B).

  1. De la signification d’une carrière professionnelle

On ne subit pas une carrière professionnelle, on la construit. C’est l’un des points saillants de l’ouvrage de 220 pages que nous livre le Professeur Martin Tchamba. Tenez :

  • Page 31 : « J’ai dû démissionner de mes fonctions de chef d’antenne du Centre universitaire de Dschang (CUD) à Maroua, dans la province de l’Extrême-Nord du Cameroun, et obtenir ma mise à disponibilité du Ministère de la fonction publique. Je devais par la même occasion, quitter le magistère pendant une vingtaine d’années » Chargé de Programmes de l’IUCN à Brazzaville est donc mon premier poste à l’international» ;
  • Page 35 : « un matin, je suis donc allé au bureau. J’avais déjà fait ma réservation sur un vol de la Compagnie nationale aérienne (Cameroon Airlines)… J’ai vu mon patron, qui a tenté un dernier geste désespéré pour me retenir. Il m’a dit :  » Non ! Tu ne peux pas partir « . Je lui ai calmement, mais fermement dit :  » je pars « »
  • Page 37 : « J’avais claqué la porte de l’université. J’avais abandonné mon poste de Brazza, j’étais à court de moyens matériels et financiers et pour couronner le tout, j’avais rejoint la maison familiale».
  • Page 39 : « J’ai pris la route de Douala, sans d’autres détours. Et c’est sur ces entrefaites que je me retrouve à la COTCO comme spécialiste de la biodiversité»
  • Page 41 : « Nous étions un mercredi, je crois. Et Steve m’a demandé : « Martin est-ce que tu veux aller à Garoua ? « …Il me dit qu’il y a un projet du Fonds Mondial pour l’Environnement que WWF veut implémenter au Nord Cameroun».

L’auteur analyse ainsi ce qu’on pourrait appeler les « changements institutionnalisés » et ce que je nommerai ici les « accidents biographiques » intervenus dans son parcours professionnel. Le livre fourmille ainsi de détails tels que ceux que nous venons d’écouter qui témoignent de la richesse de la carrière du Professeur Tchamba jusqu’à ce moment à l’Université de Dschang. Au-delà de ce palmarès à l’actif de l’auteur, il me semble plus important de répondre à l’invitation qu’il nous fait de réfléchir sur la signification et la consistance d’une carrière. Nous tous ici, ou presque, sommes dans le cheminement de nos carrières respectives. Mais, nous sommes-nous déjà demandé ce que signifie une carrière ? En général, la notion de carrière est mise en exergue pour appréhender les étapes d’accès et d’exercice d’une profession comme une suite de changements objectifs de positions et la série des remaniements subjectifs qui y sont associés. C’est ce que met en avant Ma passion pour l’éléphant. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de merveilleusement mauvais dans cet ouvrage. La prose de l’auteur nous oblige. Elle force chacun de nous à faire une introspection sur sa propre carrière. On est dès lors hanté par une interrogation : qu’ai-je jusqu’à présent fait de ma carrière professionnelle ?

L’auteur nous indique que dans sa dimension objective, une carrière professionnelle se compose d’une série de statuts et d’emplois clairement institutionnalisés, de suites typiques de positions, de réalisations, de responsabilités et même d’aventures. À ce sujet, on a surtout retenu le duel de 8 minutes avec un éléphant dans le Parc de Waza, duel relaté aux pages 137 et suivantes. On n’est pas moins bouleversé aux pages 32 et suivantes par la fusillade de Brazzaville à laquelle l’auteur a échappé, fusillade dans laquelle ses deux compagnons de véhicules ont perdu la vie.  La carrière a aussi une dimension subjective. Dans cette dimension, la carrière est faite de changements dans la perspective selon laquelle la personne perçoit son existence comme une totalité et interprète la signification de ses diverses caractéristiques et actions, ainsi que tout ce qui lui arrive. La carrière qui est jusque-là celle de l’auteur, comme celles de ceux présents dans cette salle, est faite de processus et de dialectique permanente entre histoire individuelle, institution et contextes. Elle est le produit concret de ce que les acteurs font en étant faits. Mais c’est précisément à ce niveau que le livre est plein d’enseignements. Il nous fournit les outils cognitifs pour distinguer ceux qui agissent dans leur carrière de ceux qui sont agis par leur carrière. Le livre riche de récits et d’anecdotes nous propose en même temps les outils pour faire partie de la première catégorie, celle de ceux qui agissent dans leur carrière. Ces outils sont : la remise permanente de soi en question, l’audace, l’esprit d’initiative, la loyauté et la générosité.  C’est d’ailleurs ce dernier outil qui justifie que l’auteur consente à revisiter la cinquantaine d’années de son existence afin de faire profiter à ses lecteurs de son expérience.

  1. Des retours d’expérience personnelle dans nos institutions

Le deuxième grand intérêt du livre Ma passion pour l’éléphant procède sans doute des retours d’expériences personnelles et professionnelles qui pourraient bénéficier au lecteur. Par retour d’expérience il faut entendre une démarche de détection et d’analyse des enseignements d’un projet, qu’elles soient positives ou négatives. Dans le livre cet exercice est permanent et vise à analyser et partager les éléments positifs ou négatifs de la vie de l’auteur pour en tirer des enseignements. Il s’inscrit dans une démarche d’apprentissage et d’amélioration continue.  Précisément, l’auteur s’attèle à présenter des expériences de gestion de ses projets de vie personnelle et professionnelle. Son texte est orienté vers la démarche développée, les méthodes employées, les productions réalisées, les moyens utilisés ainsi que sur le rôle et le niveau d’implication de ses compagnons de route. Les récits intitulés « dans les eaux et forêts comme l’armée » (pp. 61 et suiv.), « le temps d’un rêve » (pp. 65 et suiv.) et « encore un heureux hasard » (pp. 75 et suiv.) se donnent ainsi à voir comme de véritables traités de vie à destination de l’étudiant déterminé à réussir ses études. La troisième partie de l’ouvrage (pp. 83 et suiv.) apparaît comme une envie de Martin Tchamba de partager son expérience qui, comme une béquille, pourrait aider de nombreux forestiers, de nombreux chercheurs à corriger leur trajectoire et à se projeter sereinement vers le futur. Sans le vouloir, il fait de la concurrence à un tas de guides pratiques et de livres sur la façon dont on peut résoudre un problème. Il répond ainsi à un certain nombre de problématiques auxquelles les professionnels sont confrontés : comment faire bon ménage avec ses patrons ? Comment se faire apprécier de ses collègues et autres compagnons de travail ? Comment faire face dignement à des difficultés professionnelles ? Les enseignants/chercheurs en général, et les forestiers en particulier, s’en sortent également avec quelques interrogations utiles : comment faire efficacement son terrain afin de collecter des données empiriques fiables ? Comment gérer efficacement les conflits hommes/animaux en vue d’une conservation optimale des ressources fauniques ? Comment faire rayonner un département dans une faculté ? Influenceur, Martin Tchamba l’est certainement de par le positionnement didactique de l’ouvrage qu’il nous présente.

On pense néanmoins que le caractère attrape-tout de cette autobiographie qui embrasse un peu trop, de la vie personnelle et professionnelle du Professeur, dessert quelque peu les détails qui auraient pu donner plus de force encore au texte et à sa portée. Le lecteur désireux d’en savoir davantage et de tirer profit de l’expérience du maître se serait attendu à de plus amples développements sur les projets notamment entrepris au département de foresterie. Mais il ne s’agit que d’une autobiographie, donc de l’histoire d’une vie qui se devait de tenir sur quelques 220 pages. Ce livre appelle certainement des ouvrages de spécialités qui permettront au maître des sciences forestières de mieux préciser sa pensée dans des domaines telles que l’administration universitaire, la science de la conservation et la gouvernance forestière. Il appelle probablement la rédaction des mémoires qui permettront sans doute au Professeur de nous édifier davantage sur son parcours.

Je vous remercie pour votre attention.

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